• Patricia
  • 1 Feb 2019
Nouvelle année, nouvelle décennie! Nos meilleurs vœux au peuple milan: que leur territoire soit enfin reconnu contrée de tranquillité, « luxe, calme et volupté ».

Changement dans la continuité

Pour cette année qui commence, il semble y avoir un alignement des planètes en faveur des prières du milan. D’une part, le chef de l’État constate que «le consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir dans notre pays» et que l’hydro-électricité constitue le vrai modèle français de production; et d’autre part, lors de l’audience du 12 septembre 2019, « le conseil d’État met un vent définitif au projet éolien de Saint-Clément-de-Valorgue dans le Puy-de-Dôme » en raison de la protection des milans royaux. Le Cantal, département d’Auvergne et du parc naturel régional des volcans tout comme le Puy-de-Dôme, se situe dans l’axe majeur de migration utilisé par les rapaces et le peuple milan. Les planèzes de Trizac espèrent le même traitement que Saint-Clément-de-Valorgue afin que le ciel bleu cantalien ne soit pas balafré par des mâts blancs nuisibles pour la faune sauvage, mais également pour les ovins et les bovins qui vont en montagne avec les beaux jours.

Continuité dans le changement

Le temps s’écoule à son rythme mais le monde évolue à grande vitesse prenant modèle sur le TGV. Cependant, le tout électrique ne valide pas le parc éolien terrestre dont l’énergie n’est pas aussi verte qu’on le croit. En effet, il est désormais démontré que les éoliennes constituent un facteur destructeur de la biodiversité. Dans l’énergie renouvelable aussi, le changement a rattrapé les modèles: le solaire supplante l’éolien.

Autre revirement inattendu: l’écologie radicale commence à défendre la pratique des abattoirs ambulants, ce qui manifeste une forme de reconnaissance de l’utilité de l’élevage et de la consommation de la viande (début de désaccord avec les végétariens et les végans?). Circuit court oblige, vive le retour des boucheries de village. Comme quoi, les problèmes de la ville ne sont pas ceux de la campagne. Les grandes surfaces et les centrales d’achat doivent se transformer et opérer leur propre métamorphose à l’instar de la société. Autre temps, autre modèle: le local résiste et surmonte le global. Enfin paradoxe ultime, la pandémie ou la mondialisation du coronavirus ne produit pas, au grand désespoir des décroissants, une démondialisation de l’économie mais plutôt un repli sur soi des nations, et à l’intérieur des États, un désir de dé-métropolisation, un engouement pour les villes petites et moyennes voire le retour au village. Quelle logique s’affirmera après le confinement total et général, à la sortie de la pandémie? Continuité ou inversion? Contrairement à ce qui semblait aller de soi, le confinement a provoqué l’accroissement du commerce en ligne. L’individualiste que tout le monde est devenu ne se dit pas «Ah! quelle horreur, je suis limité à ma zone». Il se sent riche de tout le stock du marché mondialisé incarné par « Amazone ». On peut cependant se demander si l’individualisme est irréversible, si sa prétendue fatalité est réellement inéluctable; ce qui s’oppose à ce mouvement est-il inévitablement un collectivisme ou un communisme? L’humanité a déjà donné. N’est-ce pas plutôt la solidarité, ou ce que les grecs appellent la « filia », c’est-à-dire l’amitié, à savoir tout ce que la complexité culturelle ou le snobisme a toujours cherché à refouler ?

Le retour du simple

Qu’est-ce qu’une amitié simple? Certainement pas celle que l’on contracte et comptabilise en cliquant sur un pouce levé ou un smiley sur les réseaux sociaux, celle dont le nombre peut s’élever à l’infini sans qu’on ait rencontré un seul visage sinon une image. La simplicité de l’amitié s’exprime dans la familiarité des relations quotidiennes, résulte de l’apprivoisement réciproque comme SAINT-EXUPERY le fait dire au renard qui s’adresse au petit prince: «apprivoise-moi». Et la solidarité? Elle est naturelle dans les villages parce qu’elle découle, d’une fréquentation de longue durée, familiale, intergénérationnelle. Entendons-nous bien: il ne s’agit pas du retour de la nature mais celui du naturel. Sur quoi repose une telle distinction? Comment définissons-nous ces termes?

La nature représente, en quelque sorte, ce qui est autre que nous mais dont l’altérité n’est pas radicale dans la mesure où nous sommes évidemment des êtres de nature. Elle nous est étrangère, d’une étrangeté qui est parfois menaçante et même dangereuse, comme celle du coronavirus aujourd’hui. Le virus est un être minuscule et simple. Sa simplicité est sa force!

De son côté, le naturel signifie notre manière d’habiter la nature. Cela consiste à l’apprivoiser, à la fréquenter quotidiennement, à en faire notre amie par la familiarité qui va atténuer son étrangeté et la rendre moins étrangère.

Petite cabane de berger dans les environs d'AuzersCette habitation de la nature commence par la construction, comme en Auvergne, d’une petite cabane de berger, d’une petite hutte où le berger fabrique ses fromages de montagne pendant la transhumance et qui s’appelle un buron. Quelle est donc l’origine étymologique de ce nom bien auvergnat? Permettez-moi de vous citer complètement un paragraphe d’un article intitulé

«Bâtir, Habiter, Penser» extrait du livre qui a pour titre «Essais et conférences» du philosophe allemand Martin HEIDEGGER: «Que veut dire maintenant bâtir? Le mot du vieux-haut-allemand pour bâtir, buan, signifie habiter. Ce qui veut dire: demeurer, séjourner. Nous avons perdu la signification propre du verbe bauen (bâtir) à savoir habiter. Elle a laissé une trace, qui n’est pas immédiatement visible, dans le mot Nachbar (voisin). Le voisin est le Nachgebur, le Nachgebauer, celui qui habite à proximité. Les verbes buri, büren,beuren,beuron veulent tous dire habiter ou désignent le lieu d’habitation». Et comme pour justifier davantage le parallèle entre l’Auvergne et l’Allemagne, le phénoménologue précise: «Pensons un instant à une demeure paysanne de la Forêt-Noire, qu’un « habiter » paysan bâtissait encore il y a deux cents ans. Ici, ce qui a dressé la maison, c’est la persistance sur place d’un (certain) pouvoir: celui de faire venir dans les choses la terre et le ciel, les divins et les mortels en leur simplicité. C’est ce pouvoir qui a placé la maison sur le versant de la montagne, à l’abri du vent et face au midi, entre les prairies et près de la source».

On voit, la philosophie ne nous éloigne pas du réel, mais d’un réel que nous avons pris bien soin d’oublier parce que trop simple. Regarder par et à travers les yeux du milan, ce n’est pas regarder de haut la nature comme le font certains écologistes urbains qui veulent pratiquer des plantations verticales. Leur désir de complexité leur a fait perdre de vue que l’agriculture ne peut pas être autre chose que la culture de la terre. Et pour cultiver la terre, il faut y demeurer, l’habiter, en prendre soin, l’entretenir et la préserver.

La culture signifie sauver la terre !

Le mot du Milan

Nous, peuple milan, regardons avec bienveillance l’effort des habitants d’Auzers qui participent à leur manière à l’édification de la culture qui est la trace de ce rapport amical et familier que l’homme entretient avec la nature. La simplicité et l’authenticité de cette culture s’exprime et se découvre par la lecture, à travers la littérature, de ce que Marie-Hélène LAFON décrit, avec persistance, comme le « monde premier ». Entreprendre ensemble une promenade philosophique, écouter religieusement de la musique tout en admirant des œuvres d’art, est peut-être déjà une option pour l’homme d’habiter la nature en poète. Pour terminer, noblesse oblige, laissons la parole à HEIDEGGER qui écrit dans son article «...L’homme habite en poète...»: «La poésie ne survole pas la terre, elle ne la dépasse pas pour la quitter et planer au-dessus d’elle. C’est la poésie qui tout d’abord conduit l’homme sur terre, à la terre, et qui le conduit ainsi dans l’habitation». Et très respectueux, il rend au poète ce qui appartient au poète et cite le poète allemand HÖLDERLIN:

Plein de mérites,mais en poète,

L’homme habite sur cette terre.

C’est ainsi que voit le milan !