• Patricia
  • 1 Feb 2018
Depuis quelques années, le regard du milan nous est familier. Il nous vient toujours du bleu du ciel d'Auzers, au-dessus du bois du Troumelou et des prés du plateau de Varleix, d'Olgeac jusqu'à Trizac.

Le mystère du familier

Ce regard est fonctionnel : il voit, perçoit, observe, fixe, cible, perce et transperce sa proie par un raid-banzaï qui n'est pourtant pas suicidaire. Mais la chasse est intermittente et entre deux dégustations, le milan se contente de planer, de promener son regard afin qu'il révèle des aspects inconnus des paysages des planèzes et vallées du haut Cantal.

Le regard poétique

Le regard du milan devient alors regard poétique. Le vaste territoire de chasse se métamorphose : le paysage est le poème ! L'évidence de la beauté ne peut plus être discutée . Elle se pose, s'expose, s'étale devant ce regard révélateur. Nous percevons et comprenons alors que la beauté est la nature de la nature. Ainsi se déploie ce pouvoir magique du regard poétique. Il pénètre jusqu'à la nature intime des choses, intimité qui échappe à notre regard utilitaire, avide, manipulateur, technicien et consommateur. C'est donc la poésie qui fait ressortir et donne de la visibilité aux aspects invisibles des objets ordinaires, qui manifeste la valeur extraordinaire de ce qui nous paraît laid, insignifiant, sans saveur. "Donnez-moi de la boue, j'en ferai de l'or" seul un poète, ici Baudelaire, a la liberté et l'audace de parler ainsi.

La parole poétique

La parole poétique nous transporte " vers les confins", comme l'écrit Jean-Louis Clarac, "en étrange pays familier". Telle est l'ambiguïté subtile et sublime du regard du milan qui braque la lumière sur tout ce qu'il regarde. "Comme cela arrive souvent, en matière de langue mais surtout dans la vie, on a besoin de l'étrangeté pour illuminer le sens" nous suggère Andrea Marcolongo dans son petit livre qui parle du grec ancien comme "La langue géniale". Il est vrai,c'est parfois un regard étranger qui révèle l'étrangeté de nos vieilles habitudes, de nos comportements et gestes familiers et ainsi nous procure une chance de nous étonner, de nous interroger, de changer et d'évoluer. Cette merveilleuse opportunité nous est octroyée aujourd'hui par le Printemps des poètes qui fête ses vingt ans cette année. Charles TRENET chantait ''les poètes descendaient dans la rue'', à Auzers ils s'invitent dans la Chapelle du Mas, devant les fermes.

La nature de la poésie : la solastalgie

Lors de la manifestation du 3 août 2019, organisée par l'association "Oser Auzers", la poésie entend intégrer dans son expression le spirituel et la nature. Elle espère ainsi nous soulager de deux pathologies de notre modernité : la nostalgie et la solastalgie.

La nostalgie exprime un sentiment de mélancolie et de tristesse quand on est loin de chez-soi. On l'appelle parfois " le mal du pays". Elle témoigne ainsi de l'attachement trés fort et très profond que l'on éprouve envers son lieu de vie, son environnement et ses paysages. Et selon Glenn Albrecht, inventeur du concept en 2003, "la solastalgie n'est ni une maladie mentale ni un trouble. On peut la penser comme un malaise. La détresse solastalgique est parfaitement normale: elle indique que vous avez un lien puissant avec votre environnement, et que vous souhaitez le conserver".

L'étrangeté du regard du milan révèle ici la nature de la poésie. Celle-ci n'a jamais été et n'est pas une élucubration loin de la réalité, une rêverie stérile d'idéalistes inconséquents; elle implique désir de préserver son lieu de vie, par conséquent de l'entretenir, d'en prendre soin, d'y demeurer...bref de le cultiver. La poésie signifie donc engagement, défense du paysage et de sa beauté, combat contre tout ce qui peut dégrader la nature.., en cela elle est, au-delà de l'écologie, politique: combat commun.

C’est ainsi que voit le milan !