• Patricia
  • 1 Feb 2020
Voilà donc un an, nous avons commencé un premier confinement. Nouveauté totale, jamais expérimenté, jamais vécu, cet événement a déclenché une sidération générale, globale, complète. Que faire? Que dire?

Ce que nous dit le confinement

Personne ne sait.  D’un seul coup l’espace s’est rétréci et réduit à l’appartement, au studio, à la maison, et pour ceux qui ont de la chance avec un jardin…,mais pour tout le monde, à l’espace vital: son corps. Et il faut encore le confiner,  le masquer, le distancier des autres, respecter des barrières , bref éviter tout contact physique avec autrui, ami, amant, amoureux, époux, épouse, parent, grand parent, enfant, frère, sœur. Les conseils se transforment vite en contraintes. La distanciation sociale est imposée à tous par le coronavirus. La covid 19 est déclarée. Très vite, ce sera une pandémie. Le monde entier est touché.


Dans le pays, tout s’arrête: écoles, collèges, lycées, universités; économie, commerces, entreprises, il faut rester chez soi; métro-boulot-dodo devient dodo-repos-dodo; avec de la chance, le travail se fait à la maison, à distance comme les courses. On change de vie, ou plutôt la vie change toute seule et rapidement, sans demander notre avis. Le virus commande tout, gouvernement, institutions diverses, appareils d’État, forces de l’ordre pour un objectif unique: survivre, continuer de vivre. Comment? Personne ne sait.

En tout cas, l’essentiel est de ne pas mourir. Cela signifie-t-il vivre, c’est-à-dire bien vivre? Cela exige de distinguer et séparer l’essentiel et l’inessentiel, ce qui suscite un grand débat. Enfin on peut parler car on a une intention, un but, une action à accomplir. L’espace n’est plus physique mais linguistique: c’est à celui qui parle le plus, et le plus longtemps. Qui a raison? Qui dit vrai? Qui ment? Qui a tort? Personne ne sait.

L’espace s’est rétréci, comme notre horizon, notre chez-soi, notre corps. Nous vivons une grande «métamorphose» dirait KAFKA; en effet, le cafard ne s’est pas seulement glissé, caché sous le tapis, il a gagné et envahi complètement notre esprit. Le confinement a migré  de l’espace au temps. Il est désormais impossible de se projeter vers le futur. Le projet a perdu toute crédibilité. L’avenir ne comprend plus l’année prochaine, ni le mois ni la semaine prochains, même pas demain. Le temps se réduit à l’instant, un présent qui ne passe pas. Du coup le passé aussi est aboli. Il est interdit d’avoir des souvenirs. Chacun meurt seul, sans sépulture, sans accompagnement social, même pas familial parfois. Nous faisons l’expérience douloureuse de l’individualisme absolu, une existence sans passé ni futur, confinée au présent, à l’instant. Bref, une vie sans conscience.

Comment habiter le temps ?

Comment sortir de ce confinement? Tel est aujourd’hui notre problème. Ce qui nous préoccupe désormais est difficile à cerner, imaginer, concevoir, penser. Nous avons déjà vécu, expérimenté le déconfinement: ce fut une sorte de défouloir, l’expression d’une volonté de s’amuser de tout, de se divertir jusqu’à l’enivrement, de consommer, de profiter comme si la liberté se réduisait au fait de jouir sans entrave, de désirer sans limites, de vivre sans contraintes. Cette séquence ne pouvait pas se prolonger indéfiniment. Rebond de la pandémie et, suite logique, reconfinement. Les solutions illusoires se sont vite déconsidérées, démonétisées: la résistance ne suffit pas pour enrayer la pandémie,refus de porter le masque sous prétexte de mieux respirer, refus de se faire vacciner au nom d’un scepticisme brandi comme la quintessence de la pensée à l’encontre des vaccins proposés soit disant fabriqués trop vite; la résilience révèle son véritable contenu, simple description d’un résultat  non d’une opérationnalité, bref elle ne nous aide pas à tracer un chemin de sortie de notre situation; la désobéissance promue et affichée comme le refus d’une infantilisation organisée de la population par le gouvernement sans s’apercevoir qu’un tel geste aboutit inéluctablement à la négation de toute forme d’autorité. Sous prétexte de s’opposer à une dictature du sanitaire, de défendre la valeur-liberté   contre la santé présentée comme simple bien et ainsi se prémunir d’une possible tyrannie du bien qui serait pire que «la banalité du mal» bien connue depuis Hannah ARENDT, notre époque éprouve la tentation d’un romantisme de la spontanéité, d’une liberté instinctive vécue dans l’immédiateté c’est-à-dire d’une liberté sans conscience. Existe-t-elle vraiment? Que peut donc être une liberté n’ayant aucune capacité de se saisir, de se représenter, de se connaître? L’existentialisme peut argumenter disant que dans la mesure où «l’existence précède l’essence», il est indéniable que la liberté existe avant la pensée de la liberté. Le souci de l’originalité a conduit beaucoup de penseurs qui lui sont postérieurs, à s’opposer à DESCARTES et à son principe «je pense, donc je suis». C’est flatteur pour l’ego mais cela reste inconséquent. SOCRATE aurait conseillé ironiquement: «Oh liberté, connais-toi toi-même».

Laissons là ce débat et ces illusions de solution et faisons l’effort de penser. Après la description succincte et rapide des conséquences de ce confinement il paraît intéressant d’explorer l’intuition ou l’idée que voici: pour bien vivre la fin de la pandémie et ses contraintes, il conviendrait de vivre pleinement notre rapport à notre monde; non pas seulement habiter la terre mais tout l’espace et tout le temps. Rappelons que M.Pesquet continue d’habiter notre monde tout en étant hors de la terre mais simplement dans l’espace. Le problème n’est plus d’habiter l’espace depuis la construction du premier buron comme nous l’a déjà dit HEIDEGGER en invoquant le poète dans la lettre précédente du Milan.

La vraie question est maintenant de savoir de quelle manière peut s’effectuer l’habitation du temps. Il s’agit bien de sortir du confinement temporel. Vouloir vivre dans l’instant c’est se condamner à ne rien vivre du tout dans la mesure où le propre de l’instant consiste à s’évanouir. Pour l’empêcher de disparaître, il est nécessaire d’avoir la capacité de le retenir. Mais dans ce cas l’instant se présente comme l’empilement de l’instant passé et de l’instant présent plus l’instant à venir. Devenu complexe, l’instant se transforme et devient le présent. C’est désormais une épaisseur de temps que nous habitons: un passé récent et un futur immédiat se stratifient dans le présent.

Que signifie alors habiter le temps? Cela ne consiste pas à vivre seulement l’instant présent, ni à cueillir le jour sans se soucier du lendemain soit à «vivre au jour le jour». L’habitation du temps implique d’être présent au passé et au futur,de vivre avec des souvenirs et des projets, de «vivre avec nos morts» comme l’écrit le rabbin Delphine HORVILLEUR, de«vivre en temps réel» selon les explications du philosophe Frédérique WORMS, mais également de ne pas oublier les générations futures si l’on veut respecter le «Principe Responsabilité» de Hans JONAS. Habiter les trois dimensions du temps, passé, présent et futur c’est vivre dans la durée comme l’enseigne BERGSON, en sachant que pour ce philosophe, la durée n’est rien d’autre que «L’Évolution Créatrice».

C’est ainsi que voit le Milan!